Par Emmanuelle Sée, Responsable Gestion Actions, en charge de l’Impact Investing chez Swiss Life Asset Managers France
A l’occasion de la Journée internationale de la biodiversité le 22 mai, et soutenue par la réglementation et les engagements internationaux pris lors de la COP 15 Biodiversité en 2022, en quoi est-elle la thématique incontournable dont les investisseurs doivent se saisir ?
Cette journée mondiale de la biodiversité arrive à point nommé pour appeler à l’action toutes les parties prenantes susceptibles d’être engagées dans la préservation de la biodiversité. Il s’agit tout d’abord de répondre aux objectifs fixés lors de la COP 15 sur la biodiversité à Montréal en décembre 2022, évènement majeur qui a donné une visibilité inédite à cette thématique d’investissement.
Au niveau mondial, la biodiversité représente près de 44.000 milliards de dollars de création de valeur, soit environ plus de la moitié du PIB mondial. La perte de biodiversité a donc des conséquences multi-dimensionnelles qui ne peuvent plus être ignorées, impactant directement les activités et les revenus
des entreprises.
Cette dégradation de la biodiversité est recensée par l’IPBES[1], la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, qui a identifié cinq facteurs clés : le changement d’usage des terres et des mers, l’exploitation des espèces, le changement climatique, la pollution et enfin la propagation des espèces invasives. Si la dégradation de la biodiversité et le changement climatique constituent des crises jumelles, les deux sujets ne sont pas pour autant superposables. Certaines activités visant à atteindre le Net Zéro ne sont pas forcément nécessairement pro-biodiversité.
Un marché estimé à 10 trillions de dollars par an d’ici 2030
Il existe désormais un consensus global (secteurs public et privé) autour de la question et une véritable mobilisation financière encouragée par les progrès de la réglementation, notamment en faveur des pays émergents, pour soutenir les investissements en faveur de la préservation de la biodiversité.
Au niveau réglementaire, l’entrée en vigueur de la directive européenne CSRD en janvier 2024 marque une avancée significative dans l’harmonisation des données extra-financières des entreprises. Il s’agit d’un élément structurant, au même titre que l’initiative TNFD (Task Force on Nature-related Financial Disclosures), dont les recommandations ont été lancées en septembre 2023 et qui fournissent un cadre global concernant les paramètres de biodiversité à destination de toutes les parties prenantes. En revanche, il n’existe pas de données uniques agrégées permettant d’évaluer la pertinence globale d’une entreprise en matière de biodiversité. Reste que de nombreuses bases de données brutes existantes sur la biodiversité sont à disposition des analystes.
A ce titre, l’enjeu est de pouvoir interpréter ces données brutes avec méthodologie afin d’identifier les entreprises qui limitent leur impact sur la biodiversité ou qui trouvent des solutions afin de la préserver et la restaurer. Cette transposition des données académiques et scientifiques dans le monde investissable permet de s'assurer de la pertinence et la cohérence des entreprises sélectionnées. Un fonds à impact et « article 9 » en faveur de la biodiversité pourra enfin s’inscrire dans le sillage de trois ODD (Objectifs de développement durable) fixés par les Nations Unies : les ODD 12 (Consommation et productions responsables), 14 (Vie aquatique) et 15 (Vie terrestre).
Parmi les entreprises susceptibles de répondre aux attentes des investisseurs en matière de biodiversité, les sociétés spécialisées dans le traitement de l’eau, dans le recyclage des métaux permettent d’encourager l’émergence d’une économie circulaire. On peut également retrouver bon nombre de technologies, comme des appareils de cartographie de fonds sous-marins ou encore le segment de l’agri-tech mais également des activités régénératrices. Le vivier d’opportunités est important si l’on estime que le marché potentiel représente 10 trillions de dollars par an à horizon 2030 et près de 400 millions d’emplois d’ici à 2030, selon le World Economic Forum. Les émetteurs ciblés ont un profil plutôt Small & Midcaps.
Au niveau géographique, les entreprises spécialisées dans la préservation ou la restauration des écosystèmes terrestres et aquatiques eau douce se trouvent principalement en Europe et en Amérique du Nord. En revanche, l’archipel nippon compte davantage de sociétés spécialisées dans la protection des écosystèmes marins, notamment depuis la catastrophe de Fukushima, en 2011. En Australie, il existe également un vivier d’entreprises dédiées à l’économie circulaire autour du secteur des métaux.
La préservation de la biodiversité est devenue un impératif mondial, étroitement lié aux politiques environnementales, aux accords internationaux et à la poursuite des objectifs de développement durable, que les investisseurs doivent désormais intégrer dans leurs investissements.
[1] IPBES = Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services